Troisième jour


Jerome Batiste

Dimanche. Nous apprenons que Jerome Batiste joue cet après midi à Sugar Land. Pas question cette fois de le manquer. L’événement a lieu au Constellation Field, le stade local de baseball. Une affiche indique Mardi Gras in May avec plusieurs manifestations : défilé de chars, match et concert. Lorsque nous arrivons la rencontre est déjà commencée. L'ambiance est familiale et bonne enfant. Les Skeeters de Sugar Land affrontent les Blue Crabs de Galveston. Difficile de comprendre quoi que ce soit à ce jeu. Les points se succèdent à un rythme incroyablement lent, le temps que les batteurs s'installent et que les autres joueurs prennent leurs marques. C'est évidement lorsqu'on tourne la tête qu'on entend une clameur du public et que le speaker annonce un home run. Nous squattons rapidement la buvette, d'autant que le soleil tape fort et que la température doit bien dépasser les 30 degrés. 

C'est à côté de la buvette que Jerome et son groupe se sont installés, attendant que le match se termine. Je l'aborde et il me reconnait parfaitement malgré les douze ans qui séparent notre dernière rencontre. Je le félicite pour son dernier disque et il m'en offre une copie. Il me présente à ses musiciens. Son jeune frotteur T-Roy, puis son guitariste, un solide gaillard dont je ne retiens que le prénom, Earl. C'est un sacré musicien qui a joué récemment avec Step Rideau lors d'un de ses voyages en Californie. Alors que nous discutons Jerome s'interrompt soudain, disant qu'il nous faut un traducteur. Il me présente à ses parents. Son père, 82 ans et sa mère 81. Et c'est papa qui continue la conversation en créole. 

Le match est maintenant terminé. La totalité du stade s'est vidé. Ne restent que le personnel de la buvette et ceux qui sont visiblement venus pour voir le groupe . En tout peut-être une petite trentaine de personnes. Le concert commence et c'est de nouveau une claque ! Chant à l'arraché, répertoire en majorité original, Jerome passe en revue une grande partie de son dernier disque : Funky good time, Johnnie Billie Goat, Lay it down... Deux morceaux d'anthologie, Malloto baby et l'excellent Lovin' man. Ou comment faire vivre une chanson avec trois notes ! A son coté son frotteur MC répète à l'envie entre les titres qu'ils sont les Real Zydeco players, des vrais country boys qui joue le zydeco authentique, celui de Boozoo Chavis, de John Delafose... Le show n'aura duré qu'un peu plus d'une heure. Mais ce qui force le respect, c'est l'implication des musiciens, Malgré un timing serré et un public restreint le groupe s'est donné à fond. 

Raa Raa au Big Easy

Retour à Houston. Il est 20 heures et nous entrons dans le Big Easy Pleasure & Social Club. Pour le blues, c'est une des références de la ville. A l'intérieur nous retrouvons Joe Norman et Joseph Bruno que je n'avais pas revu depuis 2004. Tout comme Joe Norman, Joe Bruno m'avais servi de guide lors de mon premier voyage. Propriétaire de son ranch, le Triangle 7, il programmait régulièrement des groupes de zydeco. Pendant tout le temps où nous étions ensemble il avait tenu à ne parler qu'en créole. Avec l'age il  à laissé la gestion de son ranch à son fils et est parti en maison de soin. Sachant que j'étais en ville il a absolument voulu me revoir malgré ses problèmes de santé. Cela me touche profondément.

Autre rencontre que j'attends depuis longtemps, celle avec Jabo, le Texas Prince of Blues and Zydeco. Depuis la découverte  de son premier 33 tours en avril 1999 je suis fasciné par ce musicien. C'est un très grand chanteur, qui à mon avis n'a rien à envier aux plus grandes personnalités du blues et de la soul. C'est aussi un instrumentiste remarquable, capable de passer des two steps les plus endiablés aux blues les plus profonds. Un an plus tôt il avait failli mourir victime d'une agression. L'occasion est trop belle de pouvoir le rencontrer, de lui dire combien je l'apprécie et de lui offrir en cadeau le tout premier 45 tours qu'il enregistra pour Maison de Soul en 1988.

C'est maintenant l'heure pour Raa Raa de monter sur scène. Avec lui c'est la veille école du zydeco et le répertoire de Clifton Chenier qui sont mis en valeur.  Maître sur les trois types d'accordéons - diato une rangée, trois rangées et accordéon piano - il varie les rythmes et les styles, passant du blues à la valse, du two step à la ballade... . Maître de cérémonie, il invite les apprentis musiciens à venir se produire devant le public. Sur la piste nous reconnaissons certains danseurs photographiés par James Fraher dans le livre de Roger Wood,Texas Zydeco. Encore une fois je suis étonné par l'énergie qui est déployée sur scène. Il est étonnant qu'un tel talent ne soit pas aussi connu. Selon la formule consacrée Raa Raa est sans aucun doute un des secrets les mieux cachés de H-town. 

Raa Raa joue depuis maintenant quatre heures et ne semble pas vouloir s’arrêter. Nous sortons du club et la discussion commence : avec un jeune haïtien francophone venu faire ses études ; avec une dame blanche assez âgée, venue au zydeco par la danse et qui considère cette musique comme faisant partie du courant folk ; avec Murphy, un membre des bosshawg riders - une association de trail ride - rencontré avant le voyage sur facebook. Son père fut le guitariste de l'accordéoniste Wilfred Chevis, une figure locale qui fit beaucoup pour la promotion du zydeco. Nous repartons vers notre hôtel mais rendez-vous est pris le lendemain pour retourner dans le Fifth Ward avec Joe Norman.


 


Avec Raa Raa