Premier jour
Après bien des déboires je suis enfin à Houston. J'ai dans l'esprit les voyages de Jacques Demètre, Marcel Chauvard et Georges Adins. J'ai surtout en mémoire le récit de André Hobus parti à la fin des années 70 à la recherche de Lightnin' Hopkins. Je me remémore sa description du ghetto parue dans le magazine Rollin' & Tumblin'. Vais-je retrouver ce même état des lieux trente ans après ?
De l'aéroport je prends un taxi direction downtown. Une demi-heure de route. Il est 21 heures et la circulation est dense sur la highway à cinq voies. Soudain au sommet d'une côte un mur de gratte-ciels se dresse. Le chauffeur prend la sortie, s'engage sur Fanin street et me dépose au Magnolia Hotel sur Texas avenue. De la fenêtre de ma chambre je suis étonné par le manque de vie du centre ville. Pas un chat dehors, pas âme qui vive dans cette suite de longues rues disposées en damier. De temps en temps un bus passe, une voiture au loin semble s'être perdue.
Trop excité pour m'endormir j'allume la télévision et tombe sur une émission intitulée Singsation. C'est le révérend Willie Wilson qui officie sur la chaîne WGN et en profite pour faire la pub de son dernier disque, I'll Fly Away. Wilson est un superbe chanteur à la tète d'un big band d'une quinzaine de musiciens comprenant une impressionnante section de cuivres. Sur la chanson qui conclue l'émission il fait participer les fidèles. Je peux m'endormir, je suis bien en Amérique.
Deuxième jour
Beau soleil sur Houston. Je quitte l’hôtel pour visiter les environs. Rien de bien passionnant en vérité. La ville semble morte. Presque personne dans les rues. Sur Main Street seul un fast food et une épicerie tenue par des mexicains sont ouverts. On est loin de la vie trépidante du french quarter à la Nouvelle Orléans. Après quelques tacos et une étude du plan de la ville je décide d’aller sur Dowling Street. Je remonte Texas Avenue, passe le Minut Maid Parc, stade impressionnant tout dédié aux Astros, l’équipe de baseball locale, et me retrouve au cœur de Chinatown, à l’Est du downtown.
Voici donc le third ward, siège du bluesman Lightnin’ Hopkins. Déception encore. La rue s’étire à n’en plus finir en une longue suite de bâtiments pour la plupart abandonnés. Après une heure de marche je vois enfin quelques maisons, simples cabanes en bois habitées par des Noirs, séparés par de longs terrains vagues. Et toujours ces grands entrepôts vides. Je finis par renoncer et retourne à l’hôtel. Plus tard je me rendrai compte que les clubs de blues du third ward - le Etta’s Loundge, le Miss Ann Playpen – se trouvent beaucoup plus au Sud du coté de la Texas Southern University. Réalité des grandes villes américaines : des lieux qui semblent proches sur la carte sont souvent très éloignés et obligent à prendre les highways. Le chemin le plus court n’est pas la ligne droite !
Mais ce soir est le premier grand soir. Au programme Brian Jack au CC Hidehout puis J Paul Jr au Mr A’s Club. J’appelle un taxi et fais la connaissance Katthy, mon chauffeur. C’est une Noire d’une cinquantaine d’année qui n’en revient pas de savoir que j’ai traversé l’Atlantique pour écouter du zydeco. Sur fond de rap elle m’explique qu’elle aussi adore la musique. Lorsque je lui parle de blues elle change le disque de son lecteur cd pour me faire écouter un vrai chanteur de blues, Tyrone Davis. Elle me parle de Johnny Taylor et me donne la bande originale du film Ray. Elle me dit aussi qu’elle adore le gospel et va à l’Eglise tous les dimanches. Elle change de nouveau la musique pour me faire écouter la star du gospel du moment, Yolanda Adams. Je découvre ainsi que ma conductrice chante très bien. Pendant ce temps nous sommes sortis de l’autoroute et nous nous retrouvons en pleine campagne. Les rues annoncées sur le plan sont en fait des routes à travers champs. Après avoir cherché nous arrivons enfin à l’angle de Belbay et de Bellfort street et découvrons une petite baraque en bois peinte en bleu. Sur le devant de nombreuses voitures et 4x4. Sur le mur le nom de l’établissement peint grossièrement en lettres noires. Sur la porte d’entrée une affiche annonçant le festival de blues qui aura lieu à Crosby le 7 mai avec Bobby Blue Bland, Shirley Brown, J Blackfoot…
Je paye cinq dollars et rentre dans le club, bien plus vaste et mieux entretenu que l’extérieur ne le laissait supposer. Face à l’entrée le bar. A droite deux tables de billards. Sur la gauche plusieurs tables qui entourent la piste de danse. L’orchestre est déjà là, qui achève le sound check. Je reconnais Brian Jack à l’accordéon mais aussi son bassiste, « E J » Emerson, que j’avais déjà vu en France il y a quelques années en compagnie de Lil Brian au festival de Cognac. Le public est encore épars mais les fans sont déjà la qui portent le t-shirt de la tête d’affiche de ce soir. Face à la scène, devant la piste de danse, une longue table autour de laquelle sont installés les papis et les mamis, venus eux aussi profiter de la musique.
Le groupe ne prend pas de break sitôt les réglages finis mais attaque immédiatement. L’ambiance est bonne enfant, l’orchestre détendu et le public de touts ages. Le spectacle est fascinant au fur et à mesure que le club se remplit. Il se passe bien cinq minutes entre chaque morceau, le temps à chaque fois de laisser les danseurs quitter la piste de danse. On s’est habillé pour venir danser. Look cowboys pour les plus âgés : jeans moulant et impeccablement repassé avec plis au milieu, grosse boucle de ceinture, stetson et tiags de rigueur évidemment. Contraste avec les plus jeunes qui portent bandanas, pantalons et t-shirts amples de tel ou tel joueur de basket ou de football américain. Mais tous se retrouvent sur la piste et dansent formidablement, tantôt collés, tantôt détachés, enchaînant les passes et les pas sur le beat imposé par l’orchestre. Celui-ci justement produit une musique méchamment funky entre reprises bien senties (Turn on the lovelight, Why you wanna make me cry… ), succès du moment (Do the mill) et compositions personnelles issus principalement du dernier disque (un superbe Shake your tail feather).
Au bout de quatre heures je jette l’éponge et sort du club où m’attends mon chauffeur. Unique regret, l’impossibilité d’avoir pu prendre des photos. Private party me dit la serveuse. Trop crevé, je renonce à voir J Paul.. En revanche j’ai le droit à la visite de la maison de Katthi, désireuse de me montrer à sa famille, enfants et petits enfants, avant mon retour à l’hôtel.