Nathan Williams : sur les traces de Clifton
Note : cette interview fût réalisée en 1999 pour le fanzine aujourd'hui disparu Travel In Blues. Aujourd'hui cet article a une saveur toute particulière, surtout lorsqu'on on relit les conseils que donne de Nathan à son fils, Lil Nathan, devenu depuis un musicien confirmé au top de la musique zydeco.
Travel in Blues : Le Zydeco est essentiellement une histoire de famille…
Nathan Williams : La plupart des groupes de Zydeco sont constitués des membres d'une même famille. C'est la tradition.
TiB: Parlez nous de la famille Williams…
NW: J'ai commencé à jouer dans le club de mon frère, un club de zydeco et de blues. D'abord gratuitement, pour me faire connaître, puis j'ai commencé à gagner d'abord 2 dollars, et puis 3, 4, 5
dollars et j'ai fini par enregistrer 2 45 tours sur le label familial. Puis nous sommes allé voir Rounder et nous avons continué avec eux depuis.
TiB : C'est vous qui êtes allé les voir ou bien ce sont eux qui vous ont contacté ?
NW: Ils m'ont contacté, parce que Buckwheat devait faire un album avec eux, mais il a signé avec une major, alors ils sont venu me chercher. J'ai commencé par un live chez eux.
TiB : Concernant Buckwheat, nous savons que c'est une de vos influences majeures, mais il y a aussi votre oncle, Harry Hyppolite ?
NW: Bien sûr. Aujourd'hui, il joue avec C.J. Chenier. Il jouait avec son père Clifton avant. Clifton Chenier a toujours été mon idole. Quand j'étais trop jeune pour entrer dans les clubs où il
jouait, je me tenais debout sur une machine à laver pour regarder par une ouverture.
TiB: Toujours à propos de Buckwheat, vous avez des nouvelles de sa santé ?
NW: Il va mieux, il se prépare à revenir sur le devant de la scène. On a tous prié très fort pour lui.
TiB: Le Zydeco est souvent considéré, à tort, comme une musique folklorique. Or, ce n'est pas une musique figée, elle puise dans divers styles musicaux. Quels sont ceux qui vous inspirent ?
NW: J'ai créé mon propre style. Bien sûr, j'emprunte un peu à Clifton Chenier, un peu à Buckwheat. Quand j'ai commencé, j'ai fusionné tout çà avec ma propre musique, c'est comme çà qu'on crée son style. Il y a du Blues, du Funk, du Rhythm & Blues.
TiB: Il y a pas mal de recherche rythmique dans votre travail. Comment composez-vous ?
NW: J'essaie de faire en sorte que ma musique reste vivante, en y injectant des histoires vraies, des choses qu'on fait, et la tradition aussi.
TiB: Par exemple, dans Follow Me Chicken, vous utilisez un Jumbé africain. C'était votre idée, on vous l'a proposé ?
NW: L'idée me vient d'un ami qui dit toujours : "Suis-moi Poulette, j'ai beaucoup de maïs", autrement dit, j'ai de l'argent. Quant au tambour africain, c'était quelque chose qu'on voulait
essayer. Çà vient d'un ami qui était venu faire le bœuf avec nous. On trouvait que çà sonnait bien, on a donc décidé de mettre çà sur l'album.
TiB: Vous devez aimer beaucoup Z.Z.Hill. Vous reprenez plusieurs de ses chansons, comme Everybody Got To Cry Sometime, et vous composez vous-même dans ce style.
NW: Oui, j'aime beaucoup. Je fais trois de ses morceaux, celui-ci, I Need Someone To Love et The Same Old Way. Chez nous, beaucoup de gens aiment ce genre de choses. Il faut donc en ajouter à
votre répertoire, de façon à donner à chacun un peu de tout, toucher toutes sortes de catégories. Çà donne différentes couleurs, comme un tableau très coloré.
TiB: Les critiques parlent beaucoup d'un nouveau Zydeco qui irait plus vers le Reggae, le Funk, le Rap, en opposition à une vieille école plus proche de Clifton Chénier. En tant que musicien,
vous sentez une telle différence, ou n'est-ce qu'une invention de journalistes ?
NW: Il y a une réelle différence. Le Zydeco de Clifton est vraiment plus bluesy. C'est lui qui a inventé ce terme de Zydeco. Mais je n'ai rien contre ce nouveau Zydeco, au contraire. Dans tout ce
qu'on fait, il faut évoluer. Sans trop s'éloigner de l'origine, mais il faut évoluer, étendre son style. On ne peut pas rester toujours au même endroit, il faut explorer, il faut bouger. C'est en
cela que mon travail peut sembler différent du Zydeco original, mais je ne désire pas trop m'en éloigner. Il y a des gens qui aiment ce que je fais, d'autres préfèrent d'autres groupes. C'est ce
qui fait vivre la musique, il y a divers types d'orchestres, de musiques que les gens veulent écouter. Si tout était pareil….Il y a un nouveau souffle dans le Zydeco, avec Beau Jocque par
exemple. Bien que çà vienne directement de Boozoo Chavis, c'est totalement différent. C'est différent de ce que je fais, ou de ce que faisait Clifton. Mais çà marche, çà se vend.
TiB: Que pensez-vous des mélanges que pratiquent des gens comme Chris Ardoin ou d'autres jeunes artistes ?
NW: Ils voulaient me sampler, mais je n'ai pas envie de çà. Il n'y a pas de mal à çà, mais je n'en ai pas envie. Si je fais quelque chose, ce sera naturel. Je ne veux pas voir mon travail samplé.
TiB: On dit que le Zydeco est en train d'envahir l'Amérique, et qu'à cause de cela, il y aurait une dérive commerciale, que le Zydeco aurait tendance à se dénaturer…
NW: Si çà marche, qu'est-ce qu'on peut y faire ? Je ne veux pas faire de commentaire à ce sujet, je ne me reconnais pas le droit de juger de la musique d'autrui. Je n'ai pas à dire aux autres
comment ils devraient jouer. Je ne suis pas un critique.
TiB: Zacharie Richard dit que le Zydeco et la musique cajun sont deux branches d'un même arbre. Ces deux musiques ont-elles le même public, les mêmes scènes, ou s'agit-il de deux mondes
séparés ?
NW: Ce n'est pas tellement le cas. On voit beaucoup de gens suivre à la fois le Zydeco et la musique cajun. Bien sûr, quand on écoute, on se rend compte que ce n'est pas la même musique. Mais
c'est le même public.
TiB: Vous avez un fils. Pensez-vous qu'il va reprendre le flambeau de la tradition familiale ?
NW: Il a 12 ans aujourd'hui. Il joue depuis l'âge de 3 ans. Il joue de l'accordéon, des claviers, de la batterie, du frottoir, il joue à l'église avec le chœur, il chante, donne des cours de
piano. Je pense qu'il veut être musicien. Il a déjà joué dans un festival de jazz.
TiB: Certains jeunes mélangent le Zydeco au Rap, à d'autres musiques d'aujourd'hui, pensez-vous qu'il en fera autant ?
NW: Ce n'est pas ce que je lui conseillerais. On ne peut pas oublier la tradition. Mais le vrai problème avec cette musique, c'est qu'elle n'a pas la promotion nécessaire. Si je vais voir une
major et que je leur dit que je suis un rappeur, je vais obtenir un gros contrat. Mais pas si je fais du Zydeco. J'aurais peut-être un contrat, mais avec très peu de publicité, de promotion. Si
un rappeur passe chez vous, vous allez voir des affiches partout en ville. Si un jour je deviens quelqu'un d'important,
c'est çà que j'aimerais faire, prendre ces jeunes, à commencer par mon fils, et les promouvoir, dépenser de l'argent dans la publicité, pour que çà marche. Ces maisons de disques, ils veulent que vous leur rapportiez de l'argent, mais ils ne veulent pas investir sur vous. Ils veulent tout pour rien, le beurre et l'argent du beurre. Parfois, un contrat avec une maison de disques peut être mauvais pour vous. On ne doit pas mettre au placard le travail de quelqu'un qui y a mis tout son cœur, toute son âme. C'est comme les invités des émissions de télé, on y voit jamais d'artistes de Zydeco. Et les maisons de disques payent pour avoir leurs artistes sur les plateaux de télé.
TiB: A propos de promotion, vous-même, vous tournez beaucoup hors des Etats-Unis ?
NW: Je tourne dans tous les Etats-Unis, mais pas tellement à l'étranger. On est mieux payés aux USA, on peut vivre de sa musique. Mais j'aimerais la promouvoir ailleurs, faire connaître mon nom.
TiB: Puisqu'on parle de la scène, pourriez-vous nous parler du El Sido, le club de votre frère, très connu pour le Zydeco ?
NW: Quand Buckwheat a commencé, il jouait surtout dans des dancings. Il a dit à mon frère qu'il devrait ouvrir un club spécialement pour le Zydeco. Et c'est ce que mon frère a fait. Au début, tous les week-ends, il y avait des groupes de Zydeco, tous pouvaient venir y jouer. Et tous aimaient l'endroit, parce qu'ils y avaient du succès. Avec ce club, mon frère a joué un grand rôle dans l'histoire du Zydeco. Parce qu'on a pas un public de jeunes comme dans les concerts de rock, ce sont des gens un peu plus âgés qui viennent, et ils viennent plus pour danser que pour rester au bar à boire des verres, et donc le club ne gagne pas autant d'argent. Il a fait du bon boulot avec ce club. Aujourd'hui, il est connu dans tout le pays. Toutes les tournées s'y arrêtent.
TiB: L'une des raisons de votre présence ici, dans le cadre des Chorus des Hauts de Seine, est le 300ème anniversaire de l'arrivée des Français en Louisiane. Quelle importance revêt cet
évènement pour vous ? Quel est votre attachement à la culture française ?
NW: C'est effectivement important pour moi. Mais je ne tiens pas à m'étendre sur le sujet.
TiB : Il paraît que Buckwheat compte créer son propre label, Tomorrow Records. Allez-vous l'y rejoindre ?
NW: Je ne sais pas. J'ai un deal avec Rounder. Çà peut marcher très bien. Mais ne vous méprenez pas, je n'ai pas dit non.
TiB: Vous chantez en Anglais, mais aussi en Français. Vous le parlez ?
NW: D'abord, si je chante en Français, c'est toujours pour ne pas m'éloigner de la tradition. C'est quelque chose qu'on ne veut pas perdre. Çà n'empêche pas d'être soi-même, et d'y mettre toute
son énergie, tout son cœur. On ne fait pas çà que pour l'argent. Quant au fait de parler, je parle souvent en Français créole avec ma mère.
TiB: Beau Jocque dit qu'il axe plus son répertoire sur la tradition quand il joue en France. Vous avez la même intention ?
NW: Çà dépendra du public. Mais de toute façon je ferai mon truc.
TiB: On aimerait bien vous entendre parler Français…
NW (en Français) : Vous m'avez jamais entendu parler Français. Moi et ma maman parler Français on the téléphone. Tu comprends ?
Propos recueillis par Etienne Guillermond, René Malines et Philippe Sauret le 27 mars 1999 à Issy-les-Moulineaux