Donna Angelle : la diva du zydeco

 

Tout comme Buckwheat ou Lynn August, Donna Angelle fait partie de ces artistes qui ont embrassé sur le tard une carrière dans le zydeco. Aujourd'hui, avec six enregistrements à son actif, Donna est une artiste reconnue, qui tourne dans le monde entier. Ses deux prestations au festival de Cognac ont mis tout le monde d'accord : c'est une bonne accordéoniste et une chanteuse exceptionnelle. Nous l'avons rencontré.

 

 

 

Vous avez beaucoup de chansons de rhythm and blues à votre répertoire. Quelles sont vos influences dans ce domaine ?

 

Ma première influence a été ma mère. Elle chantait et elle faisait du tap dancing. Puis j’ai écouté Aretha Franklin, Gladys Knight. Curtis Mayfield était mon idole. J'ai commencé à faire de la musique dans différents groupes de rhythm and blues. J’ai ensuite fondé mon propre orchestre, Chapter Four. Puis j’ai rencontré ce jeune producteur, Mike Lachney (1), qui m’a conseillé de faire du zydeco.

 

Vous aviez déjà joué du zydeco auparavant ?

 

Je connaissais le zydeco mais je n’étais pas dans le milieu. J’ai rencontré ce jeune producteur. En studio il m’a dit :

"Sais-tu chanter Donna ?

Oui.

Peux –tu me chanter quelque chose ?"

J’ai chanté, il a enregistré mais il ne m’a rien dit. Le matin suivant j’ai reçu un coup de fil. « Donna, c’est Mike, j’aimerai signer un contrat et t’enregistrer ». C’était pour de vrai ! Pour le premier enregistrement nous avons surtout fait des reprises. Puis j’ai dit au producteur que je voulais enregistrer mes propres chansons. C’est comme ça que j’ai pu faire le disque suivant, Old Man Sweetheart. Puis ont suivi Down The Bayou, It’s Alright et Workin’ It.

 

Pour votre premier enregistrement, jouiez-vous de l'accordéon ?

 

Non. Je jouais juste de la basse et des claviers. J’ai commencé à apprendre l’accordéon sur les conseils de Mike. Il m’a dit : «  Donna, si tu veux voyager tu dois devenir accordéoniste, car tu es le leader du groupe ». Je n’avais jamais joué de cet instrument. J’ai donc décidé de m’acheter un accordéon-piano. Mais au magasin il n’y avait qu’un petit accordéon diatonique. Je suis rentré chez moi. J’ai commencé à jouer dans la cour de ma maison. J’ai réalisé que la note était différente si je tirai ou si je poussai  sur l’instrument. Dans la basse-cour il y avait beaucoup de poules. Dès que j’ai commencé à jouer les poules ont fait un bruit d'enfer ! Ma mère est sorti de la maison et m’a dit : « qu’est-ce que tu fais aux poules ! ». Je lui ai dis : « regarde ». Et chaque fois que je jouais de l’accordéon les poules recommençaient à crier. C’est pour ça que j’ai écrit cette chanson, I've got the chicken in my yard (2). Et puis il y a eu I want a man like Boozoo, qui m’a fait connaître et permis de voyager partout dans le monde.

 

Avant d’enregistrer pour Mike Lachney, aviez-vous fait d’autres enregistrements ?

 

Non, jamais. C’était ma première séance d’enregistrement et j’étais très excitée car je n’avais jamais mis les pieds dans un studio auparavant. Je n’avais jamais enregistré avant, même comme accompagnatrice. J’ai joué avec Bobby Price, Cosmic Sky. J’ai joué avec plein de formations. Un jour j’ai décidé d’avoir mon propre groupe et de chanter mes propres compositions. Aujourd’hui j’ai un tout nouveau groupe. J’ai un bon manager, j’ai un bon attaché de presse et je peux me concentrer uniquement sur la musique.

 

En tant que femme, est-ce dur de travailler dans la musique ?

 

C’est dur, c’est vraiment très dur. Pas seulement dans le zydeco. Il faut avoir la foi et être déterminée. J’ai toujours refusé d’abandonner. Même si certains m’ont dit que je n’y arriverai pas. Mais je suis là maintenant. Les choses sont différentes aujourd’hui. Quant je rentre chez moi on me regarde différemment.

 

Vous chantez et composez en créole...

 

Oui, je le parle un tout petit peu. Pour écrire mes chansons, quant je ne sais pas quelque chose je demande toujours de l’aide à mon père ou à ma mère. Mes parents parlent créole. Ils me sont d’une grande aide. Quant j’ai un problème avec un mot je vais voir ma maman et je lui demande :

« j’ai besoin de savoir comment tu prononces ce mot ».

Créole et français se ressemblent mais ce n’est pas tout à fait la même chose. Si un français parle trop vite, je ne le comprends pas. J’ai eu de la chance hier. J’ai été capable de parler aux gens et ils m'ont compris.

 

Vous faisiez référence tout à l'heure à votre chanson Old man’s sweetheart (3). Comment l'avez-vous écrite ?

 

Nous avons eu l’idée d’écrire cette chanson avec Mike Lachney et une jeune femme. Cette chanson parle de Boozoo Chavis. D’abord je me suis dit :

"je ne vais pas la chanter car il va mal le prendre".

Mais mon producteur m’a dit :

"C'est un gimmick (4) Donna, tu dois la chanter".

Quant la chanson est sortie elle s'est répandue comme une trainée de poudre en Louisiane et à Houston. Tout le monde m’appelait et me demandait si j’étais réellement amoureuse de Monsieur Chavis. Non, en fait si Clifton Chenier avait toujours été vivant, on aurait fait une chanson sur Clif. J’ai eu l’opportunité de rencontrer Monsieur Chavis à Houston. Nous étions programmés dans un même festival. Je n’oublierai jamais ce jour quand il m’a dit :

« Où est la jeune femme qui a écrit cette chanson sur moi ? C’est vous qui avez écrit cette chanson? »

« Oui Monsieur»

« Bon, alors où est mon argent ! »

En fait il plaisantait. Lui et sa femme m’ont remercié. « J’apprécie beaucoup que vous ayez écrit sur moi » m’a-t-il dit. Toute la journée j’ai été avec lui il m’a donné des conseils, il m’a dit ce qu’il fallait faire ou ne pas faire. C’est une expérience que je n’oublierai jamais.

L’année dernière j’ai été primée au Boozoo Chavis  Heritage Award. Ca a été une grande surprise pour moi. J’ai été très honorée.

 

Vous voyagez beaucoup ?

 

Nous avons été à Portland, Oregon. Nous sommes allés en Afrique, au Sénégal. Ce sont des expériences que nous n’oublierons jamais. C’est tellement différent de la Louisiane. C'est différent de tout ce que tu vois à la télé. Nous avons beaucoup appris.

 

Aujourd'hui beaucoup de groupes de zydeco rencontrent des problèmes pour tourner en dehors du crawfish circuit à cause du prix de l’essence qui s'envole (5). Avez-vous le même problème ?

 

C'est vrai. En ce qui me concerne j'ai la chance d'avoir un bon manager. Elle arrive à nous obtenir de bons engagements,  de bons concerts et des bons festivals. Nous avons de la chance de l’avoir et nous avons suffisamment d'essence.

 

Des artistes de zydeco ont également une influence sur votre musique ?

 

J’aime beaucoup la musique de Step Rideau. Je reprends une de ses chansons, From Step to you (6). Après avoir entendu cette chanson pour la première fois à Houston je suis aller le voir et je lui ai dit :

"Step, j'aime vraiment ta chanson. Il faut que je la joue".

Step est vraiment quelqu’un de bien, qui fait attention aux autres.  Il n’entretient pas de rivalité avec d’autres groupes. D'ailleurs il ne devrait pas y avoir de conflits entre les groupes. Chaque groupe a son propre style. C’est bien d’apprendre des autres. J'aime vraiment écouter tous les musiciens.

En ce qui me concerne j'ai mon propre style, mon propre son. Je peux prendre une ou deux chansons d'autres groupes car je sais que les gens vont aimer.Donc je fais quelques reprises. Mais en majorité je joue mon propre répertoire.

 

Certains trouvent que vous chantez un peu comme Barbara Lynn

 

Beaucoup de gens disent que je chante comme Aretha Franklin, Gladys Knight... En fait je chante avec mon coeur. Je chante ce que je ressens, comme ça arrive. Je ne sais jamais. Parfois je suis dans le groove, parfois je sors des notes que je ne pourrai pas reproduire le lendemain.C'est comme ça que je suis. Et puis il y a mon manager, c'est une seconde mère. Aujourd'hui elle est silencieuse mais en fait elle parle beaucoup. Elle me dit :" Mais si, tu peux y arriver  !" Alors je le fais.

 

Vous êtes une des rares artistes de zydeco qui sache lire et écrire la musique.

 

J'ai appris à l'école. J'ai joué de la clarinette, du saxophone, je me suis mis à la flûte. Ensuite j'ai appris joué des claviers au collège. Quant j'ai fondé mon groupe j'ai eu des problèmes pour trouver un bassiste. Je me suis donc mis à la basse et j'en ai joué pendant six ans. Lorsque j'ai trouvé un bon bassiste je me suis remis aux claviers. Et quand je me suis mis au zydeco j'ai appris l'accordéon. J'adore l'accordéon ! Je ne croyais pas que je pourrai. Je joue à l'oreille.Je peux te dire si telle note que je joue est un do, ou un fa. Mais si tu me demandes en quelle tonalité est mon accordéon, je suis perdu. J'ai aussi un accordéon à trois rangées, un Gabbanelli. J'aime cet accordéon mais qu'est-ce qu'il est lourd ! Il me tue le dos! Quand tu en joue avec tout ton coeur, tu oublies. C'est quant le concert est fini, tu le poses et tu te dis :

"que j'ai mal !"

 

Vous venez d'enregistrer un nouveau disque.

 

La semaine dernière avec ma productrice et manageur, Marie Duncan. Nous n’avons pas encore décidé du nom de ce nouvel album. Peut être Zydeco Train. Nous avons beaucoup travaillé. Nous avons pris des filles pour faire les choeurs. Marc Miller est toujours mon producteur, le même qui a travaillé sur Workin' It. Il est très connu (7).C'est vraiment agréable de travailler avec lui en studio. Il te fait te sentir à l'aise :

"Tu n'arrives à enregistrer cette chanson ? Tu as besoin d'une pause ? Faisons une pause".

J'ai encore plein de projets. Prochainement je vais me remettre au violon.

 

Pour jouer plus traditionnel ?

 

Non, plutôt faire un mélange. Je veux continuer à jouer ce que je ressens.

 

 

(1) Mike Lachney a été un producteur très actif dans les années 90, produisant entres autres des disques de John Delafose, Rosie Ledet, Keith Frank, Milton Landry, Pierre Stoot...

 

(2) La chanson Chickens sur Old Man's Sweetheart (Maison de Soul).

 

(3) Dans cette chanson Donna raconte qu'elle préfère un homme mûr comme Boozoo à un jeune sans expérience.

 

(4) Terme souvent utilisé dans le jazz. Petite phrase dont le son particulier, le dessin mélodique ou la formule rythmique imprègnera facilement la mémoire.

 

(5) A cause du prix de l'essence JJ Caillier a du annuler une série de concert à Baltimore. Roy Carrier a annoncé qu'il ne pourrai plus jouer à Philadelphie.

 

(6) Reprise par Donna, elle devient naturellement From Donna to you.

 

(7) Mark Miller est le fils de Jay Miller. Bassiste reconnu ayant joué au coté de Wayne Toups et Damon Troy, il continue l'oeuvre de son père en enregistrant Blues, cajun, zydeco, swamp pop...

 

Discographie :

 

Zydeco Soul, 1995, Bad Weather, (cassette)

Old Man's Sweetheart, 1998, Maison de Soul.

Down The Bayou, 1999, Maison de Soul.

It's Alright, J&S, 2001.

Workin' It, 2006, MTE.

Guaranteed Lover, MDM